• Aventure en cours


    Samedi 13 Avril à 23:38
    MJ.

    C'est autour de quelques pichets d'un vin délicat et de quelques mets propices aux ébats d'un palais fût-ce t-il même le plus rudimentaire que cinq étrangers, très différents les uns des autres et venant pour la plupart des contrées les plus lointaines (pour ne pas dire les plus étranges... voire les plus hostiles !) se retrouvèrent par la force des choses ou par l'entremise d'une fort savante manipulation du Destin pour faire du leur et en commun rien de moins qu'une légende, de celles qui restent gravées à jamais dans les esprits et les cœurs.

    Cinq aventuriers que tout sépare de prime abord, puisque chacun d'entre eux est venu remporter le prix, celui du grand gagnant du Grand Tournoi annuel qui annonce le début des vendanges d'ici trois jours et trois nuits, trois jours de fête, de libations en tous genres, de musique, de danse, de spectacles hilarants ou émouvants, parfois surprenants... on apprend dès le premier soir que même un pot de fleur peut avoir du talent ! On ne dira plus donc d'un piètre comédien comme on en voit tant qu'il " joue comme un pot " puisque ce serait de la sorte faire offense à une certaine catégorie d'artistes pouvus de chlorophylle. D'eux cinq voici donc ici le portrait tel qu'on voudra bien l'entendre quand on est voyageur et que, après un long périple, on vienne à s’asseoir sur le seul et unique petit bout de banc encore à disposition autour de la table et laissé en signe d'hospitalité à qui voudra y poser son séant.

    De l'étrange et lointaine contrée des Mille Lacs arrive Isahn, un jeune combattant et plutôt maladroit ; il arrive parfois que de faibles capacités au combat soient tout à fait inutiles quand on est animé par d'aussi solides convictions que seules peuvent contenir un cœur pur ; et c'est ici le cas.   C'est ce que n'a pas manqué de remarquer Maximus, un autre guerrier qui semble disposer, lui, d'une vigueur physique exceptionnelle ; sa vaillance au combat et sa fougue en font un adversaire redoutable, un joyeux compagnon de table, apôtre des amitiés durables. Sor est quand à lui le Gardien de la forêt, sur laquelle avec son fidèle canidé (bien moins chien que loup, en vérité) il veille, selon le rite ancestral du Cercle des druides, à ce que les hommes n'oublient pas et se conforment aux lois de la nature ; il est lui-même plus animal que n'importe lequel d'entre eux.   Nabuchodonozor, dit " Nabuco " ou " Nabu " pour les intimes, est une magicienne presqu'antédilluvienne, du haut de ses cent trente années affichées par ses rides une volonté d'acier  règne maîtresse en art du lancement de sorts. Modus Intrinsecus est à la fois comédien, artiste, savant, bretteur hors pairs, et le fait est qu'on ne le pousse pas à l'eau aussi facilement ! Jetez-le dans la bière ou le vin, il ne dira pas non, mais que voulez-vous la natation ce n'est pas son fort.

    La fête a malgré elle enfin cédé la place. Après une heure certaine (rien n'est plus certain que le temps passant finissant par ne plus passer) le vent glacial de la nuit invité par le miaulement aigu d'un chat vagabond solitaire s'immisce dans les rues, les vidant des derniers fêtards restés trop tard c'est évident, ou trop longtemps, loin d'un verre. Car oui il est bien tard et l'on ignore encore à quel point.
         Le silence s'étend jusqu'au-dessus des herbes, à travers les vignobles et au-delà des champs. Les arbres frémissants murmurent des secrets, tandis qu'insectes, oiseaux, rongeurs et animaux divers chuchotent doucement la même symphonie, que l'on soit proie ou que l'on soit prédateur rien ne change après tout : on n'est que musicien pour se nourrir de l'autre, à grands coups de griffes ou de battements de cœur.
         En cette période de l'année, juste avant les vendanges, les rues se vident en tout cas d'ordinaire. Mais l'ordinaire a fait place à tout autre chose, on s'en doute à présent, et si quelqu'un ou quelque chose doit en sortir c'est pour se réfugier dans les ombres, qui se suffisent à elles-mêmes quand il s'agit d'escalader un balcon non par inadvertance. Les ténèbres parfois ne sont pas suffisantes et la noirceur de l'âme constitue un allié quand l'on vient à plonger dans des draps qui ne sont pas les vôtres, qu'on ne vous y attend pas. Fallait-il une invitation pour passer la fenêtre ? Telle est la question que se posait l'équipe des vaillants aventuriers postés aux alentours pour le moins inquiets de savoir qui ou quoi était passé par là, avant eux, sous leur yeux, presque, déjà remplis d'effroi. C'est qu'il y avait quelque inquiétude à se faire il est vrai.

    Un sujet autre surgit, lui aussi d'inquiétude : la milice chargée d'assurer dans les rues la sûreté des biens ; celle des villageois sans doute est moins préoccupante en journée que la nuit. Et voilà que nos vaillants héros se mettent à ferrailler, à déchirer les chairs, à pourfendre (presque) un barbare géant venu contre son gré accompagner la sculpturale rousse rencontrée au matin et sur laquelle il envisage de porter non pas la main mais deux, ainsi que tout le reste. Quand à elle, la grande et blanche femme se serait volontiers jetée dans la bataille, provoquer un bain de sang eut été amusant, mais elle n'avait en aucun cas été autorisée à sortir son épée. La marche à suivre était donc de courir après avoir lancé l'alerte par cor interposé. 
         Une cage thoracique béante sur l'infini expulse soudain à travers une corne mille litres d'air. L'espace plie, ondule, renversé il bascule d'un coup jusqu'aux oreilles les plus lointaines, jusqu'aux plus inhumaines, si bien qu'en Haut-Château un seigneur se réveille et s'interroge sur la nature exacte de ce qui peut de la sorte provoquer un tel son.
         Le reste de la troupe finit par arriver. Ceux qui la constituent ne sont jamais enclins à discuter beaucoup, à moins qu'il y ait à boire. Mais Isahn les sert tous les douze d'un coup, de ce vin fait de miel et d'épices qui emplit le calice de leurs cœurs et adoucit leurs âmes, leur fait baisser les armes. Après tout ils ont faim, ils ont froids, ne s'amusent pas beaucoup, mais sont prêts à servir un tel sire à coup sûr sans égal ! 

    La voie est libre, enfin. Accéder au balcon n'est plus qu'un jeu d'enfant. Ceux qui pour l'instant n'ont guère envie de rire et qui joueront plus tard saisissent l'occasion de passer par la porte (après tout pourquoi hésiter puisque, une fois n'est pas coutume, rien ne s'y oppose ?), grimpent les escaliers, et tout le monde se retrouve sur le lieu de villégiature préféré de Zaack, le bourgmestre, lorsque après ses interminables journées le crépuscule enfin, si cruel à se faire attendre, surgit depuis les vignes et l'horizon. Une chose est sûre : les visiteurs de ce soir ne viennent pas d'aussi loin. Ils trouvent dans le lit un homme, ni conscient, pas même endormi, les yeux exorbités, le souffle court, couvert de sueur.
         La chambre d'à côté est celle de Cléa, sa fille, que l'on n'hésite pas à molester. Aucune délicatesse ni qualité de cœur envers la pauvre enfant chez qui pourtant ont fait irruption, sans même frapper avant d'entrer (à part sur un barbare - mais ça ne compte pas : la politesse, les bonnes manières, les barbares n'y connaissent de toute façon pas grand chose, pour ainsi dire rien). On fouille à droite à gauche, en haut et en travers, sur le sol on découvre les traces d'un liquide que l'on pourrait sans doute confondre avec du sang, quelques gouttes. Et au bout du couloir, derrière le merveilleux portrait d'une elfe malheureusement éteinte mais dont la beauté resplendit au-delà de la toile, de tout l'art mis en œuvre pour insuffler la vie à ce qui à jamais est inerte et devrait le rester, un parchemin démontre qu'un sort a bien été jeté pour faire revenir à la vie peut-être au moins quelqu'un, en tout cas quelque chose.

    Ce même quelque chose qui fut là pas très loin, que l'on rata de peu.

    Et cela est certain.

                                                                               




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